Bande dessinée : représentation d'une personne amputée

Bonjour à tous !

Je m'appelle Diane, je suis scénariste de bande dessinée, et dans la prochaine histoire que je vais écrire il y a un personnage de jeune femme amputée. Je viens à votre rencontre car j'aimerais éviter les clichés et le validisme dans mon récit, et pour cela le mieux est encore, je crois, de discuter avec les concernés pour savoir comment ça se passe en vrai...!


Pour situer un peu, parce que ça peut surprendre : c'est une BD dans un univers fantasy. On est à Paris, dans le monde réel, mais les personnages ont des pouvoirs magiques (comme dans Harry Potter, les magiciens vivent cachés des humains normaux, avec une sorte de société parallèle).

La jeune femme est un lycan, capable de se transformer en loup. Alors qu'elle sort tout juste diplômée de l'université de magie, elle est victime d'un accident et doit être amputée des deux jambes (l'une au-dessus du genoux, et l'autre en dessous). En plus de la priver de jambes, l'amputation brouille sa capacité à utiliser ses pouvoirs car elle n'arrive plus à se transformer comme avant, ses pouvoirs sont diminués... en un sens, elle va devoir se rééduquer pour ça aussi.
Son projet professionnel de super-flic de terrain tombant à l'eau, elle repense toute sa vie et cherche sa voie. Cela va l'amener à questionner le mode de vie de ses amis avec qui elle vit en coloc, et à s'aventurer dans des univers un peu underground qu'elle ne connaissait pas (à un moment, elle prend une drogue magique pour compenser son handicap mais elle s'aperçoit que ce n'est pas une solution car les effets à long terme sont dangereux...). Il y aura pas mal d'action et de magie, on est dans un univers parfois léger et parfois horrifique.


Bref, ce n'est pas du tout un monde réaliste, mais je veux malgré tout que le handicap ne soit pas traité par-dessus la jambe : c'est ce qui pousse le personnage à questionner sa trajectoire de vie, et elle doit composer avec tout au long de l'histoire. Je veux aussi éviter de "compenser" trop facilement le handicap par la magie, car c'est trop facile et j'ai le sentiment que ça éluderait les vraies difficultés.


Sur ce, quelques questions techniques (sûrement bêtes pour certaines, mais bon!) :
- dans le cas d'un accident, est-ce qu'on ampute tout de suite ?
- après l'amputation, combien de temps faut-il pour cicatriser puis pour la rééducation?
- avec les prothèses, peut-on courir, sauter, grimper ? d'après des vidéos que j'ai vues, il y a différents types de prothèses selon les activités, c'est bien ça ?
- est-ce qu'il y a des mouvements compliqués à effectuer ? (être accroupi, glisser, etc?)
- quelles sont les difficultés spécifiques quand on a 2 jambes amputées ?
- est-ce que ça change quelque chose que l'une des jambes soit amputé au-dessus et l'autre au-dessous du genoux ?
- est-ce qu'on continue à utiliser le fauteuil même quand on a des prothèses ? (moins fatiguant peut-être ? ou pas du tout?)

Sur votre vécu :
- quelle relation avez-vous avec vos prothèses ? est-ce que vous diriez que vous y êtes attaché.e ?
- quelles sont vos difficultés au quotidien qu'une personne ayant tous ses membres n'imagine pas ?
- quelles sont vos craintes face à un personnage de fiction amputé ? qu'est-ce que vous auriez peur de voir comme cliché ? qu'est-ce qu'il pourrait manquer qu'une personne non-amputée n'aurait pas pensé à raconter ?
- est-ce que quelqu'un ici a l'expérience d'avoir été amputé.e jeune (dans la vingtaine) ? j'imagine que ça impacte différemment selon qu'on a déjà construit une vie ou pas encore...
- concernant le moment où le personnage prend une drogue pour booster ses pouvoirs magiques et ainsi compenser son handicap : qu'en pensez-vous ? sachant que c'est dans sa personnalité de tomber dans ce genre d'excès...
- le personnage ayant des aventures sentimentales, je me demandais s'il y avait des spécificités que je n'imagine pas dans les rapports de séduction / relation, etc... (c'est un peu intime comme question mais ça me semble important).


Bon, ça fait déjà beaucoup de questions !
Un grand merci d'avance à celles et ceux qui pourront m'accorder du temps, ne serait-ce que pour répondre à une ou deux questions !

Bonjour Diane,

Il y a quelques questions "faciles" sur les quelles on peut avancer rapidement :

- dans le cas d'un accident, est-ce qu'on ampute tout de suite ?

Tout dépends du dégât : si il y a encore une vascularisation, même faible, de la partie distale, si les fracas ne sont pas trop importants, les chirurgiens vont tout faire pour sauver le ou les membres touchés.
On ampute tout de suite quand les artères sont touchées, ou parfois, quand l'amputation a déjà eu lieu lors du traumatisme, le chir ne peut que "faire le ménage" et refermer. L'objectif étant là de sauver la vie.

- après l'amputation, combien de temps faut-il pour cicatriser puis pour la rééducation?

Bien sûr, chacun est différent, et en fonction du contexte, les variations peuvent être importantes, mais en gros, pour une amputation simple et sans complications il faut compter environ un mois pour la cicatrisation (pas moins) et pas moins de trois mois pour une rééducation archi-minimum.  On ne retrouve un équilibre dans sa nouvelle vie à mon avis qu'en 3 à 4 ans. Encore une fois, je ne parle là que d'une amputation simple. Pour une amputation bilatérale, je pense que c'est beaucoup plus compliqué et donc beaucoup plus long. Bien évidemment, plus le sujet est jeune et sportif, plus la rééducation et le recouvrement de son activité va être rapide et complet.

- avec les prothèses, peut-on courir, sauter, grimper ?

Oui, mais à chaque fois avec des prothèses différentes. Il faut un type de prothèse spécifiquement adapté pour chaque activité, surtout dans le cas d'une amputation fémorale ... !

- est-ce qu'il y a des mouvements compliqués à effectuer ? (être accroupi, glisser, etc?)

Oui, tout devient compliqué avec une amputation ! Alors avec deux, c'est 100 fois pire...
Tout ce qui a trait avec la pliure du genou (se mettre à genou, faire du vélo ...) est difficile, parfois impossible. Et je ne parle même pas de se relever !!!

- est-ce que ça change quelque chose que l'une des jambes soit amputée au-dessus et l'autre au-dessous du genoux ?

Oui, la perte du genou est un très gros problème. Une amputation tibiale se compense relativement bien quand on arrive à confectionner une emboiture qui ne fasse pas trop mal, mais une amputation fémorale est infiniment plus compliquée à compenser. 
Plus vous perdez d'articulations, plus il vous faudra dépenser d'énergie pour parvenir à compenser la perte. On avance le chiffre de 25 % par articulation. 
Une amputation tibiale (perte de la cheville) -> 25% d'énergie à dépenser en plus
Une amputation fémorale (perte de la cheville + genou) -> 50% d'énergie à dépenser en plus
Une désarticulation de hanche -> 75% d'énergie à dépenser en plus, etc ..

- est-ce qu'on continue à utiliser le fauteuil même quand on a des prothèses ?

Oui, parfois. Ca dépends des gens, de l'âge au moment de l'amputation et bien sûr de l'atteinte fonctionnelle. En bilatéral c'est très fréquent, pour le pas dire systématique au bout de quelques années car la dépense d'énergie pour marcher appareillé devient énorme.

- quelle relation avez-vous avec vos prothèses ? est-ce que vous diriez que vous y êtes attaché.e ?

Pour moi la prothèse est l'outil qui me permet de marcher, donc il est très utile et extrêmement important, et donc j'y fait très attention et j'en prends soin. 
Mais non, je n'ai absolument aucun attachement sentimental vis à vis de cet outil si c'est ça la question... Même si j'arrive à concevoir (avec difficulté) que certains puissent aimer un marteau, une horloge ou n'importe quel objet...

Ma prothèse (qui est devenu un morceau de ma personnalité maintenant) est plutôt un support avec lequel je m'amuse, que je montre et que je décore, et si je le pouvais, j'aimerais changer de prothèse comme on change de pantalon ou de cravate, pour l'adapter à mon humeur du moment.

Amicalement
JP

Merci beaucoup pour toutes ces précieuses informations !

Si d'autres personnes ont différentes réponses à apporter, n'hésitez pas.

Bonjour,
Je suis amputé bifémoral. Je confirme les réponses de Jean-Pascal.

Bonjour, et merci Frmich25 !

Puisque personne d'autre que ne le fait, je vais essayer de compléter un peu mes réponses. 

Avec une amputation, tout devient compliqué, chaque détail de la vie ordinaire qui semblait insignifiant "avant" devient un problème de taille, et même parfois un obstacle très difficile à surmonter. 

Dans la vie intime justement, sortir du lit, faire sa toilette, s'habiller, tout est un problème. Avec une seule amputation on trouve des solutions (plus ou moins facilement), on aménage sa maison, sa vie mais avec deux, la difficulté devient colossale. Les prothèses ne vont jamais bien, on a mal tout le temps. Ce qu'on prévoit de faire est souvent remis en cause par des problèmes imprévus. La dépense d'énergie pour exécuter la moindre action est très importante et donc on est épuisé rapidement sans avoir "rien fait". Les chutes sont fréquentes et parfois "cassantes".

En bilatéral, même avec des prothèses adaptées et très coûteuses, "courir, sauter grimper" relève de l'exploit de haut vol : Seules quelques personnes jeunes, en bonne condition physique et surtout très motivées y parviennent. 

Et même tout simplement marcher (lentement et sur de courtes distances) n'est pas évident : Les cannes sont indispensables. Se relever quand on est assis est une manoeuvre délicate qui a nécessité un long entrainement. Beaucoup renoncent très vite après avoir constaté que c'était possible mais que "le jeu n'en vaut pas la chandelle" et finissent par choisir définitivement le fauteuil, plus facile.

Mais chère DianneR, n'hésitez pas à vous mettre en situation vous même : imaginez que vous n'avez plus et pieds et essayez de passer une journée complète sans mettre du tout le pied à terre, du réveil au coucher, y compris la sortie du lit, la toilette, l'habillage ou le passage au petit coin. Faites le test honnêtement, en vous procurant un fauteuil roulant. Vous aurez une idée de la vie "facile" d'un amputé bilatéral en fauteuil. Accordez vous quand même l'usage d'un genou pour ressembler à la situation de votre héroïne mais c'est tout !
Et quand vous aurez réussi cet exploit une journée, faites le pendant une semaine ... l'expérience personnelle vaut mieux qu'un long discours.

J'espère avoir pu vous être légèrement utile, et surtout, je vous félicite de prendre la peine de faire cette "recherche de réalisme".

Bien amicalement
JP

Bonjour JP,

Merci pour cette réponse sincère.

Il sera sûrement compliqué de me procurer un fauteuil pour faire l'expérience, mais pour avoir déjà essayé un peu celui de ma tante (paralysée) et pour avoir observé les difficultés qu'elle rencontre au quotidien, j'imagine (un peu) ce que cela peut faire de ne pas pouvoir marcher.

Je vais prendre tout cela en compte dans mon scénario pour tâcher de ne pas édulcorer ces difficultés.

Merci à vous.