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 Un jour à Casablanca (ch 1)

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MessageSujet: Un jour à Casablanca (ch 1)   Un jour à Casablanca (ch 1) EmptyMar 15 Mai 2012 - 20:20


Un jour à Casablanca


Déjà c'était un fameux bordel au départ: je tenais à emporter avec moi un vieux fauteuil roulant d'athlétisme pour que Patrice, le prothésiste du centre dans lequel j'allais animer la formation, le remette à un jeune type paraplégique qui rêvait de faire de la course.

Un fauteuil d'athlétisme ça mesure plus d'un mètre dix, ça ne se plie pas et c'est chaussé de roues de 700.

J'ai à peine mis les pieds dans la gare TGV qu'un contrôleur m'a aperçu avec mon paquet gigantesque et m'a interpelé pour savoir où j'allais avec ça.

"Je prends l'avion à Roissy pour Casablanca. C'est un fauteuil de sport pour un jeune paraplégique. Je suis en mission de formation à l'ambassade de France pour assurer une formation continue auprès de prothésistes marocains. J'en profite pour prendre avec moi du matériel qui leur fait défaut".

Je croyais avoir assuré le coup avec ce très généreux couplet doublé d'une mission quasi diplomatique mais le personnel de la SNCF est devenu revêche. L'ambiance des gares ressemble à un bureau de propagande anti terroriste avec toutes les quinze minutes des hauts parleurs mettant les voyageurs en garde contre les pickpockets, les vendeurs de faux billets à la tire, les bagages non étiquetés qui seront immédiatement détruits si ils ne portent pas le nom et l'adresse du propriétaire; il est impossible d'être trop prévoyant, ni trop prudent. Le débonnaire passager aura ainsi l'impression d'être menacé de toute part, avec le sentiment renforcé d'être un citoyen particulièrement exemplaire entouré d'une bande de voyous desquels il sera éternellement reconnaissant envers les autorités de l'avoir protégé.

L'autorité, justement, était en face de moi. Elle pris son portable et téléphona au contrôleur du train que j'attendais pour la prévenir qu'un passager allait se pointer bientôt avec un monstrueux carton avant de me prévenir que je risquait entre 45 et 180 euros d'amende pour atteinte à la sécurité des passagers par l'obstruction du couloir avec un objet encombrant.

Je ne fut pas déçu; avant même d'avoir trouvé ma place dans le wagon, le dit contrôleur venait à ma rencontre.


En prenant l'ascenseur menant jusqu'aux quais, et sur celui ci en attendant le train, je n'était pas vraiment passé inaperçu; les voisins me demandaient ce que je pouvais bien trimballer ainsi. Je m'étais dit que c'était l'occasion de tourner le public en ma faveur vis à vis du contrôleur et de m'en servir pour mieux faire pression sur ce dernier. Grossière erreur d'évaluation: J'avais sous estimé l'adversaire. Polis, intéressé, celui ci me fit savoir en me montrant le texte du règlement que je risquait entre 45 et 180 euros d'amende, prouvant ainsi la belle cohérence du service des chemins de fer français. Pendant que le TGV nous emportait à plus de 300 kilomètres à l'heure vers l'aéroport Charles de Gaules la police ferroviaire du défunt général cherchait sur son mini ordinateur l'article des contraventions correspondant à mon cas.

Je n'avais plus qu'à tendre ma carte bleue. Aucun des voisins mis dans le coup avant le départ n'avait moufté. Il fallu encore un bon quart d'heure au contrôleur pour faire fonctionner son appareil à carte bancaire. Il me salua et me souhaita un excellent voyage. Je fouillais dans mon sac à dos pour chercher le roman acheté dans le kiosque de la gare de Nancy: "la plaisanterie", de Milan Kundera.

L'aéroport ne fut pas plus clément envers moi. Cette fois ce ne fut pas le volume du carton qui effraya le personnel préposé à l'enregistrement des bagages, mais son poids.

J'avais déjà fait plusieurs aller-retours entre Nancy et Casablanca depuis six ans. Un voyage au Maroc est toujours, pour un prothésiste, l'occasion de faire transiter du matériel de première nécessité pour les personnes amputées. Je me souvient d'un contrôle de bagage à l'aéroport de Strasbourg durant lequel l'officier suspicieux,ne sachant pas mieux interpréter l'imagerie du scanner de ma valise que les objets contenus après me l'avoir fait ouvrir, m'avait demandé des explications.

"Ce sont des éléments de prothèses de jambe. Ici c'est un genou, les petites pièces servent aux réglages, il y a des pieds, des tubes de liaison. Ces éléments coûtent très cher au Maroc. Il y a là dedans l'équivalent de plusieurs mois d'un salaire moyen au Maroc."

Le visage sombre du policier s'est éclairci

"ça c'est formidable! c'est super qu'il y ait des gens comme vous".

Alors que je prends congé il me rappelle en levant le pouce:

"Respect, vraiment! respect!"

Je n'ai pas payé de surcharge ce jour là, pas plus que le jour où j'ai ramené un Tandem pour Rachid ou un VTT pour Si Mohamed...

Les temps ont changé, je pense, et vite, sans doute. Pour six kilos de bagages en trop j'ai encore dû me délester de soixante douze euros avant de monter dans l’Airbus A 320 à destination de Casablanca.

Dès que l'avion eut atteins sa vitesse de croisière, j''eu l'impression de renouer le fil d'une aventure laissée 30 mois plus tôt quelque part au dessus des Pyrénées, à onze mille mètres d'altitude.


Le Maroc, ça a été, c'est encore aujourd'hui, un truc à part dans ma vie. Pas un tournant,non, ça ne m'a pas fait changer de direction, mais la différence de niveau et de mode de vie, la curiosité permanente des habitants (qui restent pourtant pour une large majorité très traditionnels dans leur mode de vie), leur facilité à nouer des contacts, le bleu si lumineux du ciel, toute cette vie au dehors, la bousculade des rues, la lourde odeur des épices, des fruits et des légumes des étalages surchargés, le coq qui chante comme à la ferme en plein Casablanca relayé dix minutes plus tard par l'appel à la prière, cette Afrique qui n'est pas encore l'Afrique, cette société de consommation qui répare tout, la poussière, les vieux papiers et les sacs plastiques qui se baladent, parfois interrompus dans leur course au hasard par une veille mendiante qui le proposera pour un Dirham au souk, le mélange d'huile et de gas-oil brûlé s'échappant en nuage noir de l'arrière d'autobus tellement déglingués qu'on se demande comme ils peuvent encore déplacer la centaine de passager accroché à son bord et aussi les deux gamins qui l'ont poursuivi à perde haleine avant de réussir à s'agripper à la poignée du capot arrière, le zig zag et le klaxon permanent des voitures au milieu des carrioles attelées à des petits chevaux étriqués ou à des ânes pelés, quand ce ne sont pas les hommes qui tirent leur charrette de ferraille, les mobylettes transportant le mari, la femme et leurs trois enfants avec les provisions sur les genoux, les bidonvilles crasseux, les palais des neveux et nièces de tous les rois du Maghreb, la presqu'île de Sidi Abdehramane et ses sorcières qui fondent le plomb pour y lire l'avenir... Tout ce tissage de dix mille fils dissemblables m'envoute, m'étourdis et me transporte aussitôt dans un ailleurs qui me fait perdre mes repères, et avec eux la lourde chape de mon quotidien.

Et puis, à Casa, j'ai toujours été attendu pour ce que je sais faire de mieux. Le cercle de mes amis n'a jamais cessé de s'étendre à l'intérieur de ce pays dans lequel je n'ai séjourné que deux mois et demi en tout et pour tout...

Le douanier m'a vu venir avec mon gros carton.

"Vous avez quoi là dedans?"


J'ai compris que mon bagage n'aurait pas davantage les faveurs du service de l'aéroport Mohamed V que celles de Charles de Gaules.

Il y a deux ans, j'étais venu ici muni d'une prothèse de course à pied et d'un vélo en fibre de carbone. Ces deux objets offerts par de généreux sponsors étaient destinés respectivement à Mohamed Naji,amputé de jambe qui allait grâce à cet effecteur hautement spécialisé devenir le premier maghrébin équipé pour la course sur route, et à Mohamed Lahna, présentant une agénésie fémorale avec absence d'articulation de hanche qui ambitionnait de devenir un jour le premier champion du monde de triathlon du Maroc. Le service des anciens combattants de l'ambassade de France avait alors contacté la plus grosse chaine de télévision du pays en terme d'audience et celle ci m'avait accueilli à l'aéroport avant le contrôle des douanes, me filmant en train de prendre mes bagages sur le tapis roulant, en train de téléphoner pour avertir Dominique que j'étais bien arrivé, et provoquant un attroupement sur le parvis de l'aéroport alors que j'embrassais Naji et Lahna avant de leur remettre leur matériel. Nous eûmes les honneurs du journal télévisé de vingt heure et une page complète dans le quotidien francophone au plus fort tirage du pays.

Ce souvenir là ne me servait à rien.

"Ouvrez ce carton!"

J'ai bien compris que ça ne servait à rien de m'expliquer. Je me suis docilement exécuté, tout en sachant qu'il me serait impossible de refaire l'emballage ensuite, et que j'allais être condamné à trimballer tout le matos en vrac jusqu'au centre de Casa. Pourvu que Lahna et Naji soient venus me chercher.

"C'est quoi ces objet, là?"

J'ai recommencé mon petit couplet; la formation donnée à L'ambassade de France, la collecte au profit d'une association locale, le fauteuil offert à un paraplégique. J'ai eu l'impression que tout était prétexte à suspicion.

"-Vous avez les factures? les certificats de don? l'adresse des associations?"

Je décidais de bluffer, un tout petit peu:

-Ecoutez, une partie de ce matériel est nécessaire à la formation que je dois dispenser auprès de jeunes prothésistes marocains organisée par le ministère de la santé. C'est l'ambassade de France qui accueille cette formation, si vous voulez, je vous passe le directeur du service et vous vous arrangerez avec lui."

J'ai sorti le portable de ma poche et cherché le numéro dans le répertoire en priant pour que Bernard comprenne la nécessité d'aller dans mon sens et que le zélé douanier s'incline devant les impératifs diplomatiques. Je lui tendis le portable. Il hésita.

"C'est bon, vous pouvez sortir!"

En guise de vengeance, je lui fit cadeau de l'immense carton vide et désormais inutilisable, qui encombrerait sans doute pour le reste de la journée le contrôle des douanes, et sorti à la recherche de Lahna et Naji.

Personne ne m'attendait devant l'aéroport.


J'étais un peu emmerdé avec tout mon bordel en vrac, et puis, je ne me sentais pas vraiment au Maroc, devant cet aéroport. Je regardais avec une ennuyeuse envie les familles qui se retrouvaient, s'embrassaient, des collègues qui s’accostaient avec les même embrassades avant de s'engouffrer dans une voiture ou un taxis (des increvables Mercédès 240 diésel des années soixante dix) qui les emmènerait dans un foyer ou dans l'hôtel réservé pour leur séjour professionnel.

Et moi, et moi...

Impensable de prendre la navette de l'ONCF jusqu'à la gare de Casa port avec tout mon barda. Je n'avais pas non plus très envie de prendre un taxi qui ne manquerait pas, vu ma bonne gueule de français perdu, d'essayer de me faire croire qu'il fallait débourser 400 Dirhams pour rallier la rue Hassan Souktani au centre de Casa où j'étais attendu pour la formation. J'avais déjà pris mon compte d'arnaque pour la journée et aucune envie de discuter là dessus.

J'ai composé le numéro de Bernard, le Directeur du service des anciens combattants à l'ambassade.

"Bernard, c'est Jean-Luc. Voilà; je suis coincé à l'aéroport. Mohamed Lahna n'est pas venu me chercher. Est que c'est possible de demander à Patrice (Patrice est le prothésiste du service d'appareillage; un mec super que je brûle d'impatience de revoir) de venir me chercher?

- On va essayer de le trouver. Nous n'avons pas bougé puisque tu nous as dit qu'on venait te chercher.

-Je sais pas comment que ça ce fait; C'est peut-être à cause de son boulot. Je me sens un peu con là, j'ai tout un bordel sur mon chariot; un fauteuil pour un patient de Patrice, du matériel de prothèse pour un prothésiste de rabat mes affaires et le tout en vrac à cause d'un douanier zélé, j'ai faillit t'appeler tout à l'heure.

Bon, on va envoyer Patrice. Tu es prêt pour ta mission? Tu commence à huit heure n'est ce pas?

Comme vous voulez.. Bernard, je n'ai pas d'abonnement international et ça ne tardera pas à couper, il faut que je te laisse si je veux pouvoir appeler chez moi.

D'accord. On t'as préparé le matériel pour une vidéo projection. Tu as un support photo pour ta prestation aux stagiaires, un power point sur ton sujet?

Euh, non, (comment ça, un power point?) ce sera une présentation orale... Il faut que je te laisse, merci. A demain.

Il y aura un représentant du ministère présent la première matinée. Finalement notre secrétaire d'état ne vient pas.

Je raccroche, à demain."

Alors j'ai voulu appeler Dominique mais mon forfait était épuisé.

Après trois quarts d'heure d'attente, Naji m'a tapé sur l'épaules et nous sommes tombés dans les bras l'un de l'autre. Momo et lui m'attendaient depuis une heure à l'autre terminal. Je n'avais pas remarqué, dans la tourmente, que l'aéroport avait doublé de volume depuis mon dernier séjour.
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MessageSujet: Re: Un jour à Casablanca (ch 1)   Un jour à Casablanca (ch 1) EmptyVen 18 Mai 2012 - 11:13



Casa est repeinte en gris. Il y pleut depuis vingt jours et les habitants ont froid. De mon petit hublot de l'avion j'avais vu l'Espagne sèche ou enneigée, le Maroc était vert comme un bocage normand.

Dans les rues les gens courraient sous leur parapluie, les familles en mobylette zigzaguaient sous cette drôle de bulle protectrice, tout le monde avait froid. Tout le monde était content.

La pluie donnait un petit air d'Europe à l'aspect des rues: il n'y avait pas cette foule grouillante qui se bousculait dans mes souvenirs. Les esprits étaient moins échauffés. Les klaxons s'étaient presque tus.

Un petit air d'Europe... Et peut-être l'ennui qui va avec aussi. Et si ce séjour ne m'apportait pas son lot de folie salvatrice. Et si la couche de gris dont je m'étais repeint l'âme ces derniers mois était suffisamment solide pour résister aux assauts de vie de cette ville aux dix mille visages que je tentait vainement de percevoir derrière les vitres embuées de la 205 à Momo dont la ventilation était en panne...

Nous sommes arrivés 17 rue Hassan Souktani, poète marocain du XIXème siècle. Denise, la secrétaire d'Alex, le médecin s'est levée pour nous saluer.

"Jean-Luc! c'est bien Jean-Luc? bonjour. Moi c'est Denise! ça c'est bien passé. Alors? moi tu m'avais dit qu'on venait te cherché alors j'ai fait annuler le chauffeur! bon Jean-Luc il faut que tu me donne tes titres de transport pour ton remboursement! t'as ton billet d'avion? c'est un billet électronique? et ton billet de train aussi! et il me faut le retour! je peux pas te garantir pour le billet de bus de la navette! tes frais de bagage? bon écoute! on va mettre; supplément de bagage nécessaires à la formation! ça te va? t'as fait bon voyage? bon, ça va être viré dès demain sur ton compte! d'accord? Ah il me faut un... un... zut!, un RIB! oui, un Rib! t'en as pas? merde? pardon! c'est con ça! il me le faut! ta femme peux pas te l'envoyer? non!, laisse tomber ça sera trop long! bon, écoute, si ça te dérange pas on te remboursera en Dirhams! d'accord? voilà, c'est arrangé! bon, alors bon séjour! tu dors où? Bernard m'avait fait réservé l'hôtel juste en face mais après il m'a dit que tu dormais chez quelqu'un? chez Lahna? bon! Oh! il est gentil Lahna! je le trouve adorable ce garçon! courageux, honnête, c'est un exemple, que moi je dis! bon je te laisse! il faut que je rentre tous ces dossiers, tu te rends compte?"

Epuisante... Cette Denise m'étais immédiatement sympathique: tout à fait le genre d'envahisseur attentionné dont j'avais besoin.

Envahisseur attentionné: le qualificatif collait bien à ce recoin de l'ambassade. C'est ici même que six ans plus tôt, en venant donner mes deux premières formations, que j'avais été mis en contact avec plusieurs personnes présentées comme influentes à Casablanca et susceptibles de m'aider à organiser mon projet d'alors: un raid un VTT dans le Moyen Atlas auquel participeraient 15 personnes amputées originaires du Maroc ou de France. Philippe, l'ancien directeur des anciens combattant - structure elle même très ancienne- m'avait alors présenté à des chefs d'entreprise, présidents d'associations telles que le club Alpin Français, Le Rotary Club et le le CAFC (Cercle des Amitiés Françaises de Casablanca une sorte de club très fermé dans lequel on n'était admis qu'après le versement d'une somme représentant plusieurs mois de salaire d'un marocain moyen).

Dans ce milieu on roulait obligatoirement en 4X4, l'intérieur était en cuir et le tableau de bord en noyer, on tançait vertement le laveur de pare brise qui avait l'audace de retenir la portière pour tenter d'arracher quelques Dirhams en échange de ses services. Lors des longues escapades sur les routes de l'Altlas on saluait -grand seigneur- la populace errante d'un geste de la main qui ressemblait à celui du pape passant en voiture blindée devant ses fidèles massés dans les rues. L'autoradio crachotait Phil Colins et Henri Salvador. Dans ce milieu on emmenait la fille du bon roi Hassan II à des parties de chasse ou à la pêche à la truite. On connaissait les meilleurs coin, ceux où elles étaient les meilleures, les meilleurs coins aussi pour dénicher les meilleures prostituées du Maroc, chaque village avait sa renommée et certaines régions prisées plus que d'autres. On se lamentait aussi, du peu de progrès qu'avait fait dans son ensemble le peuple marocain, des fautes de français de la présentatrice du journal radio, du laisser aller et du manque absolu de logique de la population, et pour tout dire on trouvait cela réellement décourageant.

Mais c'était tout de même un bien beau pays. Il étaient fiers de penser m'apprendre que docteur se disait "toubib", que village était "bled", merci "choukrane" et abricot "abricot".

C'eut été injuste de ranger toute entière Denise dans la même catégorie. Je sentais pourtant mon poils se hérisser en l'entendant donner des ordres au même laveur de pare brise, insulter ces abrutis qui ne savent pas conduire et visiter son superbe appartement avec balcon circulaire au dessus de Casa trois fois payé par ses indemnités de logement et impeccablement tenu par la bonne.

"Mais sans moi elle n'aurait pas d'emploi; Ce sont ceux qui n'en prennent pas qui sont des égoïstes!"

Mais Denise, il fallait aussi l'entendre défendre le dossier d'un paysan berbère habitant dans ses montagnes afin que celui ci reçoive ses arriérés de pension ou puisse venir ici même se faire appareiller, organiser sa venue, lui faire bon accueil, lui trouver un logement pour qu'il puisse être hébergé dans de bonne conditions. A cause de cela Denise avait toutes mes faveurs.
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MessageSujet: Re: Un jour à Casablanca (ch 1)   Un jour à Casablanca (ch 1) EmptyDim 20 Mai 2012 - 7:54

Patrice nous a rejoins. C'était bon de se retrouver. Avec Naji et Lahna nous constituions une sorte de quatuor rassemblé par la fortune d'un raid en VTT quelque part dans le Moyen Atlas par une chaude journée d'octobre.

Patrice venait d'arriver au Maroc. Nous débarquions à Khénifra, chef lieu de la province du même nom. Patrice qui débutait en appareillage (mais n'en était pas à sa première expérience de l'Afrique) avait eu l'impression de recevoir un énorme cadeau avec l'arrivée des ces quinze éclopés montés sur des bicyclettes.

Il était là depuis une semaine et sa vie professionnelle ici allait être en partie déterminée par cette rencontre. Par la suite Patrice s'est occupé de l'appareillage de Lahna et naji et à avec eux exploré en VTT les plus belles pistes du Maroc.

Dans l'élan, il a créé l'association "Rebond" dans le but de récupérer sufisament de matériel prothétique pour appareiller sans contrainte les cas qui lui seraient présentés. Son arrivée au centre des anciens combattant à permis de donner une nouvelle dimension à son atelier d'appareillage.

Nous sommes allés boire une bière chez lui. Naji a pris un jus d'orange.Lahna est reparti travailler. L'agence de reprographie qui l'employait depuis trois ans voisinait le bâtiment des anciens combattants.

Patrice, je l'avais vu pour la première fois à L'école d'appareillage de Valence où il passait son BTS en alternance. Après mon intervention nous étions allé boire une bière et je lui avait parlé de mes projet au Maroc.

Après avoir appareillé Lahna et Naji il s'est mis à effectuer avec eux des ballades en VTT de plus en plus longues, prolongeant ainsi cette aventure qui m'avait tellement absorbé. Peu à peu nous nous sommes mis à travailler par correspondance: le jour où un sponsors à offert pour Naji une lame de carbone spécialement étudiée pour la course à pied il lui a pris les empreintes, me les à envoyées en France et je suis venu le voir pour la troisième fois avec une prothèse sous les projecteurs des caméras de la télévision marocaine.

La quatrième fois il a fait la connaissance de toute la famille, et nous, celle de Johana sa compagne.

Aujourd'hui, Johana est enceinte, patrice n'en peux plus de bonheur. Il présente la chambre du bébé, le petit lit qu'il vient d'acheter, sur la table du salon il y a toute la collection de Laurence Pernoud.

Ensemble nous remémorons l'été avant dernier durant lequel avec Dominique et les enfants j'étais venu pour deux semaines. Naji qui s'était improvisé en gentil animateur de vacances nous avais alors épuisé, malgré son amputation, en nous faisant parcourir Casa à pied pour rendre visite à ses amis ou aux familles des amputés qui avaient participé au raid du Moyen Atlas.
C'est ainsi qu'il nous avait présenté Mohamed Briza et sa famille, dont la toute petite soeur, que Patrice avait tenue dans ses bras, presque envouté par la présence de ce bébé.

Nous évoquons ce souvenir. Naji qui connait peu le Français parvient à capter quelques mots. Quand il m'entend rappeler qu'un soir il nous a fait traverser tout Casa à pied pour trouver un restaurant alors que nous avions marché toute la journée il éclate de rire.

"Naji ratar, ratar!"

J'interroge Patrice du regard.

"Dangereux: il dit qu'il est dangereux, qu'il faut se méfier de lui. Un jour il a fait attendre Mohamed Lahna toute une journée pour nous rejoindre en VTT à Massira, à 130 kilomètres d'ici, à cause de lui ils sont partis à 4heures de l'après midi et nous ont rejoint à plus de minuit, sans lumière mais avec deux prothèses, en vélo sur les routes du Maroc. Il est ratar!"

Naji rit de plus belle, visiblement heureux de cet épisode, et aussi de comprendre le sens d'une conversation à laquelle il ne peux pas participer.


Les routes du Maroc comptent parmi les plus dangereuses du monde. Bien que le nombre de voiture y soit considérablement moins important qu'en France on y dénombre dix fois plus de tués et de blessés. Parmi ces derniers, une quantité non négligeable permettrait aux soixante quinze prothésistes en activité dans le pays (vingt fois moins qu'en France) de travailler sans relâche si le budjet des centres dans lesquels ils sont employés leur permettait de fabriquer, dans le meilleur des cas, plus d'une dizaine de prothèse par ans et par prothésiste.

Mohamed Lahna est venu nous rechercher, Naji et moi. Nous prenons congé de Patrice et montons dans la 205 Peugeot achetée d'occasion et génialement bricolée par un garagiste pour permettre à Momo de conduire malgré son handicap grâce au jeu de levier reliant la pédale d'embrayage à une manette à hauteur du tableau de bord.
C'est un peu sportif au départ pour réagir aux multiples imprévus et passages en force régissant la conduite à Casa, mais Momo est sportif et s'est très vite adapté à ce nouvel outil conquis par la haute lutte d'un labeur acharné.
Posséder une voiture ici est en effet un privilège, et si les voitures neuves voient leur prix baisser depuis plus d'un an, elles n'en restent pas moins difficilement accessibles même avec un salaire cinq fois supérieur à la moyenne comme celui de Momo. Aussi, même si les occasions se négocient à prix d'or, elles restent la seule solution pour devenir automobiliste.

Rue Hassan Souktani, boulevard d'Anfa, boulevard Moulay Youssef, avenue du 2 mars; je suis stupéfait par l'habileté de Mohamed, son agressivité aussi. L'automobile à fait de lui un vrai casablanquais, profitant du moindre espace, impatient aux feux rouges, klaxonnant, scandalisé par un refus de priorité et tout autant lorsqu'une voiture surgissant de sa droite la prend de bon droit. Tout ce qui le dépasse est un ennemi, toute injustice doit être vengée.

C'est ainsi que je découvre chez Momo une capacité à proférer des injures qui rivalisent en débit avec celle d'un maçon italien tombant du douzième étage. A casa on ne conduit pas, on évite, et là dessus il n'y a rien à redire, Mohamed le fait parfaitement. C'est indemnes que nous déposons Naji dans son quartier de Sidi Othmane, c'est également indemmes que nous arrivons chez lui à Bine Landoune.


"Tu reconnais?"

Je suis paumé. J'ai la foule des piétons occupant deux voies routière sur quatre, les ânes, les ferrailleurs et les mini embouteillages à chaque carrefour mais rien du chemin qui menait jusqu'ici.

"Oui, un peu"

Momo se met à rire.

"Tu reconnais rien du tout. Tu retrouve toujours pas ton chemin à Casa". Virage à droite, rue 52, nous quittons une petite rue commerçante pour une ruelle calme. des gosses jouent au ballon. Une femme salue Momo devant une maison légèrement reculée par rapport à toutes les autres. Une porte métallique vert foncée, une autre ocre avec une petite fenêtre en fer forgé, un arbre de la cour voisine retombe légèrement dessus. Les gamins s'arrêtent de jouer. Simo ralentit .

"-Là je reconnais!

-C'est bien tu t'oriente parfaitement, tu connais bien Casablanca!"

Il frappe à la porte. Soukaïna, la petite soeur de Simo, vient ouvrir, Salah, son frère, arrive à son tour.

Je bredouille aussi bien que je peux: "Salamalekum"! Tsoukaïna me répond en riant: "Salut!" et me tend la main. Salah m'embrasse. Sa mère se tient à distance dans le couloir de l'entrée.

"Malekum salam!" et elle me fait signe de la main.

"Entre Jean-Luc!" me dit Momo, "tu veux boire quelque chose? tu veux du thé? tu as faim? (en arabe) Papa! il y a Jean-Luc!"

Je traverse le séjour et entre dans le petit salon qui sert également de chambre pour Simo et les invités. Son père est assis sur une des banquettes, un livre du Coran devant lui, un stylo à plume et plusieurs pages libres reproduisant parfaitement l'écriture du grand livre. Mustapha le père de Simo se lève, m'embrasse et ne me lâche plus.

"Salam Jean-Luc! la bez? la bez? Abdullah, abdullah? (ça va? ça va? gloire à Dieu! gloire à Dieu!)"

Il me tient toujours: "Bienvenue au Maroc! Dominique ça va? les enfants ça va? Sarah, Noémie, Baptiste? Abdulah!

- Mon père a entrepris une copie du Coran" me précise Simo.

Le père de Simo est Imam et chauffeur de taxi. Dernièrement Simo lui a acheté une vieille Peugeot 205 pour qu'il reprenne son activité interrompue à cause d'un problème de santé. Avec la copie du Coran il renoue en ce moment avec une partie de ce qui a construit sa vie.

Zarha, la mère de Simo apporte le thé.


Un voyage au Maroc ça commence avec le thé. Chez Lahna ça commence aussi avec les mains de Zarha. cette distance qu'elle protège avec l'étranger que je suis est rompue par la simplicité et la précision de ses mains. La petite table ronde est essuyée en un clin d'oeil mais sans aucune précipitation. Le plateau d'aluminium posé, la ronde du thé peux commencer: la théire s'élève, le thé fumant tombe dans un verre. Salah s'en empare, remet le thé dans la théire, un fois, deux fois, Zarha sert tout le monde. C'est comme si le monde devenait léger entre ses mains; une respiration paisible. Je savoure l'idée de passer 12 jours ici. Je tombe de sommeil et chavire de bonheur.
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MessageSujet: Re: Un jour à Casablanca (ch 1)   Un jour à Casablanca (ch 1) EmptyLun 21 Mai 2012 - 6:22

ça vous plait?
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MessageSujet: Re: Un jour à Casablanca (ch 1)   Un jour à Casablanca (ch 1) EmptyLun 21 Mai 2012 - 8:00

Bien sur que ça nous (enfin "me" au moins !) plait. Ce n'est pas parce que les commentaires ne fleurissent pas que personne ne te lit !

De plus c'est agréable et sympa comme lecture.
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catherine
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MessageSujet: Re: Un jour à Casablanca (ch 1)   Un jour à Casablanca (ch 1) EmptyMer 23 Mai 2012 - 14:13

Dépaysant, ton récit. Je découvre Casa par ta plume. Smile
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MessageSujet: Re: Un jour à Casablanca (ch 1)   Un jour à Casablanca (ch 1) EmptyMer 23 Mai 2012 - 16:45

Et moi, il faut encore que je t'encourage ???? Peut importe ta réponse, j'adores !! a oui, il faut dire : je kif (pour etre fun)
Suis vraiment trop vieux !!
Encore, encore, encore de la lecture Jean Luc ...
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