Les besoins de l'homme ne sont pas légion : il lui faut aimer, se réjouir, manger, puis un jour il meurt. Pourtant plus de six mille langues sont parlées à travers le monde, pourquoi doivent elles être si nombreuses si c'est pour exprimer d'aussi simple désirs? Et pourquoi n'y parvenons nous que très rarement, pourquoi la lumière qui habite les mots pâlit elle dès que nous les écrivons? Une caresse, un frôlement peuvent dire plus que tous les mots du monde, c'est vrai, mais la caresse s'estompe au fil des ans et alors nous avons à nouveau besoin des mots, ils sont nos armes contre le temps, la mort, l'oubli, le malheur. Lorsque l'homme a prononcé son premier mot, il est devenu ce fil qui tremble éternellement entre malveillance et bienveillance, entre ciel et terre, entre paradis et enfer. Ce furent les mots qui tranchèrent les racines unissant l'homme à la nature, ils furent à la fois le serpent et la pomme et nous élèvent de la sublime condition ignorante de l'animal jusqu'à un monde que nous ne comprenons pas encore. L'histoire affirme qu'ici, autrefois, presque au commencement des temps, la différence entre le mot et son sens était à peine mesurable, mais les mots se sont usés au cours du voyage de l'homme et la distance qui les sépare de leur sens s'est tellement allongée qu'aucune vie, aucune mort ne semble plus pouvoir la réduire jusqu'à la combler.
Mais voilà, les mots sont la seule chose que nous ayons.