La liberté, notre boussole
8 janvier 2015 à 22:36
L'auteur
Laurent JOFFRINEDITORIAL
Ils ont déjà perdu. Quelles que soient les blessures et les larmes, en dépit de la trace de sang qu’ils laissent sur leur passage, les terroristes n’ont aucune chance de faire prévaloir leur folle tyrannie. Non, la République n’est pas morte ! Elle vit à travers nos amis de
Charlie, en premier lieu. Ils connaissaient le risque, ils l’ont assumé jusqu’au bout, donnant un exemple d’héroïsme, eux qui avaient justement l’héroïsme en horreur et encore plus tout ce qui pouvait ressembler à un affrontement violent. Pourtant ils ont tenu, jusqu’à l’heure tragique.
La République vit par la réaction massive survenue dès mercredi, au soir glacial d’une journée traumatisante - des dizaines de milliers de personnes assemblées dans toutes les villes de France, dont la mobilisation a fait chaud au cœur. Elle vivra par la manifestation de dimanche, qui doit être impressionnante par son ampleur et sa dignité. Elle vit par la réaction des autorités politiques, immédiate et sobre. Elle vit par la réplique donnée aussitôt par les autorités religieuses, solidaires dans l’épreuve, et notamment par celle des représentants musulmans, émouvants dans leur indignation. Avec une arrière-pensée oblique, plusieurs bonnes âmes les avaient sommés de condamner l’assassinat de mercredi. Inopportune mise en demeure. Ils l’avaient déjà fait, sans que personne ne le leur demande, sans ambages et sans hésitation. Ils expriment le sentiment de l’immense majorité des musulmans de France, même ceux qui ont réprouvé les satires publiées dans
Charlie Hebdo.Ces faits doivent être soulignés, d’abord parce qu’ils sont véridiques, mais aussi pour une raison plus tactique : ceux qui veulent à tout prix mettre en cause l’islam au-delà des islamistes ne comprennent rien aux impératifs de la lutte contre le terrorisme, qui est aussi politique. Dans ce combat planétaire, il faut mettre du côté de la République les musulmans dans leur masse, pour qui la laïcité n’est pas un obstacle mais une protection. A tous les religieux de se demander ensuite s’il n’y a pas, dans les textes sacrés, une pente dogmatique qui rend le dérapage fanatique plus aisé. Mais c’est une question plus générale et plus philosophique…
La République vivra, enfin, parce que les démocraties sont des régimes de faible apparence et d’une force insoupçonnée. En général, elles gagnent les guerres. La soumission, contrairement à ce qu’on voudrait faire croire, n’est pas leur fort. L’air du temps intellectuel et politique voudrait qu’elles soient sur le déclin, en décadence, que l’individu des droits de l’homme, déraciné, sans principes ni traditions, se détourne du bien commun et se perde dans l’angoisse d’une liberté laissée à elle-même. Il n’y a rien de plus faux. Certes la société marchande fait souvent perdre de vue les valeurs fondatrices. Mais les épreuves les font ressurgir. La liberté est comme l’air. On la respire sans y penser. Mais si elle vient à manquer, chacun étouffe et se débat aussitôt pour la retrouver. Par temps calme, la liberté n’est que déception. Dans la tempête, elle est la seule boussole disponible et le citoyen hier désenchanté est prêt à risquer sa vie pour la conserver, comme ceux de
Charlie Hebdo, qui continueront leur mission chez nous, dans l’amitié. Et la liberté.
Laurent JOFFRIN