ALAIN
"On était 7 jours avant le raid, Frank, amputé tibial venant de se désister, il ne restait plus que 5 français.
Alain s’était fait amputé 9 mois plus tôt, sur les conseils d’Eric. Après 5 ans de misère noire, depuis quelques semaines, il reprenait son Harley Davidson avec ses potes, il reprenait tout et tout était en perpétuel changement. Alain, c’était l’archétype du type non sportif, qui n’avait jamais fait de vélo et qu’on imaginait n’importe comment sauf en cuissard et chaussures de cyclistes, difficiles à assortir avec ses boucles d’oreilles à tête de mort, ses tatouages et son crâne rasé.
Mais Alain, c’était aussi l’archétype du type prêt à dire oui à n’importe quoi si il trouvait ça sympa et à y aller à fond, complètement.
De 5, on repassait à 6 et moi, je commençais la troisième prothèse provisoire avec laquelle il devait passer 500 bornes de VTT et tout le reste.
Ça a marché comme sur des roulettes ; la prothèse, la marche, deux trois pas de course et le vélo, jusqu’à ce qu’il se fêle une côte en tombant dans une descente 4 jours avant la fin.
Entre temps, on a vu Alain oublier sa galère, hurler de bonheur dans la petite vallée montant vers Ifrane, gueuler comme un putois après les véhicules protégeant la route ou l’ambulance qui le suivaient de trop près, se faire masser par ses collègues marocains au hammam, alterner les larmes de joie et de souffrance, faire cohabiter les deux lorsqu’il riait à une connerie sur sa côte cassée, faire pleurer Mohamed sur qui il s’était planté lors de son accident, lui offrir son vélo avant de partir…
Rien à jeter chez Alain, sauf peut être sa jambe droite qui avait fait son temps, en pensant à lui je ne revois que des moments intenses."
L'année suivante on a refait un raid VTT entre marocains et français dans les hautes Vosges. Alain était au service de tous. Il m'a glissé à l'oreille: "ce truc là, je l'ai vraiment fait au bon moment. Je ne sais pas ce que je serai devenu"