Des muscles artificiels fonctionnant à l'alcool
Article paru dans Le Monde, édition du 25 mars 2006.
"Quand Ray Baughman raconte comment il en est venu à fabriquer un muscle artificiel, l'histoire a l'air toute simple. D'abord, il y a eu une visite au labo. Celle du Dr John Main, un scientifique du Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency), la puissante agence de financement scientifique du Pentagone. Il cherchait un moyen de mettre un peu de muscle sur les robots, pour les rendre plus autonomes et plus puissants.
Spécialiste d'ingénierie mécanique, le professeur Main est le responsable du programme militaire d'augmentation de la performance humaine par l'utilisation d'exosquelettes, ces appareils situés hors du corps humain qui procureraient une force surhumaine aux pompiers ou aux astronautes, par exemple. Il imaginait un robot qui pourrait se mouvoir de façon autonome dans un environnement périlleux. Et, avait-il ajouté, qui se contenterait "d'une rasade de vodka ou de diesel pour continuer à marcher", raconte Ray Baughman.
Vodka ? Deux ans plus tard, le Nanotech Institute, où travaille M. Baughman, vient de présenter dans le magazine Science du 17 mars deux prototypes de muscles artificiels alimentés à l'hydrogène et... à l'alcool. "Avec du méthanol, on peut produire 30 fois plus d'énergie qu'avec une pile de même volume", explique-t-il.
Le premier prototype est constitué d'un fil métallique à "mémoire de forme" placé dans un catalyseur recouvert d'une pellicule infiniment fine de platine. Celui-ci réagit avec le mélange de méthanol, d'hydrogène et d'oxygène. La chaleur dégagée chauffe le métal, et le fil se contracte, "exactement comme un muscle dans le corps". Mais la force générée est dix fois plus grande. L'autre prototype, qui n'en est pas au même stade d'avancement, est "plus difficile à décrire", admet M. Baughman. Fonctionnant avec des électrodes et des nanotubes de carbone, il permet de transformer l'énergie chimique en énergie électrique, puis en puissance mécanique.
Les applications futures sont pour l'instant destinées à l'armée. Le muscle artificiel pourra peut-être s'adapter aux prothèses que les médecins militaires ont été contraints de développer pour les milliers d'amputés que génère la guerre en Irak. L'US Air Force s'intéresse aussi au principe du muscle artificiel pour fabriquer des "ailes évolutives" pour les avions qui changent de forme suivant l'altitude ou le parcours. On peut aussi imaginer, d'après M. Baughman, le développement d'appareils miniatures qui fonctionneraient grâce au battement de leurs ailes et non pas avec un moteur, et qui permettraient d'aller espionner en toute discrétion le terrain adverse."